UN VOYAGE ÉTRANGE
En deux mots :
Une direction artistique riche et très intéressante, une ambiance puissante, de sérieux soucis techniques, un manque de fluidité, un ennui léger mais omniprésent, une dérangeante envie d’y revenir. Voilà le mix d’émotions que Eastshade m’a fait ressentir.
User Review
0 (0 votes)Eastshade est un jeu d’aventure contemplatif sur la thématique de la peinture sorti le 13 février 2019, édité par Easthade Studios et développé par Eastshade Studios et DO Games. Le jeu est sorti sur PS4, Xbox One, PC, Linux et Mac. Il s’agit du jeu complet qui fait suite au titre Leaving Lyndow sorti le 8 février 2017, mais qui ne proposait qu’une trentaine de minutes de jeu.
Le pitch
En quelques mots – qui devraient largement suffire toutefois – vous incarnez un personnage féminin (dans la version française) dont la passion et profession est la peinture, et qui vient de perdre sa mère. Celle-ci, avant de partir, vous demande d’aller sur l’île d’Eastshade pour y faire les mêmes découvertes qu’elle plus jeune, et que vous puissiez y réaliser vos plus belles toiles. Vous l’avez compris : la peinture se veut être un élément central de l’expérience.
Votre aventure commence alors à bord d’un bateau en direction de la fameuse île, quand un accident de parcours fait s’échouer le navire dans la cale duquel vous vous trouviez. À son réveil, votre personnage se trouve sur l’île, et doit alors partir à sa découverte.

Une expérience particulière
Premier point qui pourrait surprendre un joueur innocent, durant votre séjour à Eastshade, vos interlocuteurs seront tous des animaux. Ce qui diffère légèrement avec Leaving Lyndow pour lequel les PNJ étaient plus humanoïdes, et avaient le bas du visage couvert. Ainsi, vous pourrez parler chiffons et thé avec des singes, des chouettes, des ours ou encore des cerfs. Fait a priori secondaire, mais pourtant marquant, les personnages ont tous un méchant accent anglais. D’ailleurs, au-delà des paysages et de l’univers global, les comportements des personnages sont tous so british. Autre fait intrigant de l’univers, l’île d’Eastshade bénéficie d’une lune géante qui offre chaque jour aux îliens une éclipse vers les douze coups de midi.
Eastshade est-il un jeu narratif ? S’il s’agit bien d’un jeu avec une histoire, celle-ci est en réalité très vite mise au second plan, laissant place à une ambiance et une fraîcheur de vivre (#Freedent) plutôt qu’une vraie trame narrative développée comme on a pu en avoir avec Everybody’s Gone to the Rapture, pourtant timide dans son approche, What Remains of Edith Finch, The Vanishing of Ethan Carter ou encore avec Firewatch. L’histoire ne se déroule donc que très peu par la suite au profit d’une expérience proche de celle d’un simulateur de marche et d’interactions (via des sujets qui se débloquent au fur et à mesure). Ce qui m’a fait penser – dans une certaine mesure – à une sorte d’Animal Crossing baigné dans un univers plus perché. Certaines mécaniques “à l’ancienne” m’ont rappelé d’anciens RPG dans lesquels les interactions faisaient partie intégrante des aventures et pour lesquels il fallait perdre son temps à recueillir des informations. Personnellement, j’aurais préféré que l’histoire ne soit pas autant reléguée à l’arrière-plan, et puisse venir donner une colonne vertébrale à l’expérience, pour lui donner plus de rythme.
Côté gameplay
Si le jeu fait des promesses qu’il ne tient pas, il propose aussi des choses intéressantes. Au rang des bonnes idées, le jeu se voulant concentré sur l’expérience de la peinture, il était intéressant d’introduire la notion d’inspiration. Chose faite : votre personnage possède une jauge d’inspiration qui se recharge suite à la découverte de nouveaux lieux. D’autre part, le jeu n’exploite que peu de boutons et d’opérations, ce qui simplifie considérablement la compréhension de l’expérience durant les premières minutes de cette étrangeté vidéo-ludique.
De plus, si les journées sur l’île sont particulièrement douces, les nuits peuvent être mortelles. Non, aucun monstre à l’horizon, mais c’est bien de la dureté des nuits glaciales dont je parle. Ainsi, nulle question de rester dehors si vous n’êtes pas équipé de plusieurs tasses de thé ou encore d’un manteau bien chaud. Sans quoi, vous seriez immédiatement renvoyé dans votre chambre la plus proche (à savoir dans une auberge). Finalement, la sanction n’a rien de bien punitive puisque vous ne perdez rien…

Concernant la map, les zones se débloquent les unes après les autres, et il vous faudra littéralement “poncer” chacune d’entre elles avant de pouvoir passer à la suivante. Toutefois, la progression devient très vite stimulante puisque lorsque vous commencez à connaître l’île, vous pourrez prendre des commandes (de toiles), vous irez ensuite les peindre, vous vous ferez rémunérer pour celles-ci, puis vous pourrez améliorer vos équipements. Vous pourrez alors acquérir une carte pour vous repérer, un vélo pour vous déplacer beaucoup plus vite, une tyrolienne ou encore un radeau pour accéder à de nouvelles zones, le fameux manteau nécessaire pour sortir la nuit, etc.
La peinture ?
Revenons-en à cette fameuse promesse de la peinture. Lorsque j’ai commencé à m’intéresser au titre (avant de pouvoir y jouer), j’ai d’abord été intrigué par son aspect artistique. Finalement, il n’en est rien ou presque, puisqu’il ne s’agira, en réalité, que de prendre des commandes et de les réaliser. Pour peindre une toile, vous devez trouver dans la nature les matériaux nécessaires, à savoir du tissu et des morceaux de bois. Enfin, lorsque votre inspiration est remplie, vous pouvez choisir de cadrer un écran. Il ne vous reste plus qu’à appuyer sur une touche pour réaliser ladite peinture.

Finalement, le jeu propose beaucoup moins d’interactions artistiques que l’on ne pourrait en trouver dans un Okami, Dreams, Little Big Planet ou encore un Concrete Genie que je trouvais pourtant déjà trop limité. Pour cause, si au début vous serez tenté de peindre n’importe quel écran que vous trouverez joli, votre rapport avec la peinture ne se résumera assez rapidement qu’à peindre pour de l’argent. Plus aucune fibre artistique n’est alors nécessaire, si ce n’est dans le plaisir que l’on peut avoir à se prendre pour un photographe en herbe. Et si vous avez suivi mes articles, vous savez à quel point j’aime prendre de belles photos des plus beaux plans de jeu vidéo. Pourtant, bien que quelques paysages soient tout simplement sublimes et m’aient laissé sans voix, la qualité technique globale n’est pas toujours au rendez-vous et gâche l’ensemble.

En somme, ce que j’attendais comme essence même du jeu est précisément ce qui m’a le plus manqué. D’autant plus que si le jeu promet de pouvoir peindre n’importe quelle vue, celles-ci se doivent alors d’être techniquement irréprochables, et pourtant…
Direction artistique VS technique
Il me serait très difficile de dire si Eastshade est un beau jeu ou non. D’un côté, je dois reconnaître que la direction artistique proposée est visuellement très réussie et forte d’une emprunte personnelle marquée, d’autant plus puissante qu’elle est soutenue par des compositions musicales très plaisantes, bien qu’inégales et parfois illogiques dans l’univers. D’un autre côté, je ne peux m’empêcher de souligner de gros défauts techniques, des chargements de texture très sales, des effets ratés, etc.

Disons-le, Eastshade n’est pas techniquement optimisé. Et cette vérité est d’autant plus criante lorsqu’on le compare à d’autres vrais beaux jeux indépendants au budget similaire (on pourrait ici reprendre la liste des jeux cités plus haut). De mon point de vue, cette limite est assez bloquante, car de trop nombreuses fois je me suis arrêté, manette en main, empli de dégoût face à un élément du décor totalement en bug, d’un personnage transparent ou encore consterné par le gameplay plus que hasardeux de ma propre bicyclette…
Mon avis
Eastshade est un bon jeu vidéo indépendant dont il ne faut toutefois pas trop attendre. Loin des promesses artistiques qui ont pu être faites, il s’agit surtout d’une expérience de découverte d’un univers charmant et relaxant composé de notes anglo-saxonnes dépaysantes et agréables. Notez qu’il faut réussir à se concentrer sur sa direction artistique et à faire abstraction de ses nombreuses limites techniques pour pouvoir profiter pleinement de l’expérience addictive du jeu. Pour un public averti, je recommande l’expérience.
