MERCI HIDEO KOJIMA-SAN !
En deux mots :
Frôlant le chef-d’oeuvre absolu, Death Stranding est une expérience vidéo-ludique comme on aimerait en avoir beaucoup plus, à condition d’en avoir envie.
User Review
0 (0 votes)Death Stranding est un jeu vidéo développé par la société créée par Hideo Kojima, Kojima Productions, et édité par Sony Interactive Entertainment. Le jeu est sorti le 8 novembre 2019 sur PlayStation 4. Une sortie est prévue sur Windows pour l’été 2020.
Suite à un terrible événement surnaturel surnommé le “Death Stranding”, l’humanité est décimée et réduite à quelques dizaines de milliers de survivants. Depuis cette explosion, la frontière entre le monde des vivants et celui des morts semble rompue et la Terre devient alors le terrain de jeu de créatures spectrales cherchant à amener dans le monde des morts le plus de personnes possibles.

Un jeu “Deliveroo approved”
Parlons gameplay. Bien évidemment, suite aux annonces et aux trailers tous plus énigmatiques les uns que les autres, la révélation du gameplay final aura pu faire l’effet d’un soufflé qui retombe. Pour cause, si le joueur incarne bien un livreur – ni plus, ni moins – sa mission sera donc d’acheminer des vivres et des appareils à travers un univers post-apocalyptique désoeuvré.
C’est parti pour une petite livraison
Le premier point important concernant le gameplay réside dans vos livraisons. Le monde qui vous entoure est profondément hostile, il est donc important de bien se préparer en amont, de choisir un itinéraire et de s’équiper en conséquence. Ainsi, si un voyage peut durer 15 à 30 minutes réelles, votre expérience dépendra totalement du chemin emprunté et de l’équipement que vous aurez choisi. Il est, par exemple, primordial de ne pas oublier d’échelle ou de corde si vous vous apprêtez à escalader une montagne. De même, si vous passez en territoire infesté ou chez les MULEs, prévoyez quelques armes pour vous défendre.

Les Échoués, ces personnes qu’on n’invite pas aux afterworks
De plus, si ce gameplay assez basique, mais pourtant déjà fort sympathique, ne suffisait pas, la présence des Echoués, sortes de monstres de la mort, vient clairement pimenter votre expérience de jeu. Monstres invisibles de prime abord, mais qui laissent sur leur passage des traces de pattes et de griffes, ils essayent d’attraper le joueur grâce à une mare de boue noire composée de mains d’êtres morts qui vont tenter de vous agripper et de vous faire couler. Si tel était le cas, votre personnage glisserait quelques mètres plus loin, en perdant souvent tous ce que vous portiez. Un énorme monstre en forme d’animal marin cherchera alors à vous tuer. Pour le vaincre, vous découvrirez toutes sortes d’armes, souvent à base de vos excréments ou de votre sang, oui oui. Ces monstres apportent une touche survival-horror au titre très importante car elle donne très rapidement son ton et son épaisseur à l’univers, en replaçant la mort au centre de toutes les problématiques. Afin de détecter la présence de ces Échoués, chaque explorateur porte un nouveau-né, un “BB”, sur son torse. Ainsi, ceux-ci en sentant la présence de la mort peuvent vous alarmer. Toutefois, si jamais vous veniez à mourir, n’ayez crainte, Sam Porter Bridges, personnage principal, campé par Norman Reedus (The Walking Dead), a la capacité de partir dans un monde marin, sorte de monde des morts, ce qui lui permet de reprendre vie. Il devient donc presque immortel.

La création, les armes, les ponts… toussa toussa
Troisième point : l’importance du crafting, soit la confection d’armes ou d’objets à la sauce Minecraft. Non seulement il vous faudra récupérer des matériaux pour créer vos objets d’escalade, vêtements, armes ou encore véhicules, mais également pour construire des routes. Il s’agit d’un point central du jeu puisque chaque morceau de route créé vous fera gagner un temps fou lors de vos déplacements à venir.
D’autre part, l’arrivée – assez rapide – des véhicules dans le jeu change particulièrement la donne. En effet, si vous aviez l’habitude de réserver votre après-midi pour une escapade de quelques kilomètres, les motos trois roues (pour ne prendre que cet exemple) vous permettent de vous déplacer beaucoup plus rapidement. D’ailleurs, dès lors que vous avez construit vos premières routes et installé vos premières bornes de chargement électrique (on fait dans le 100% écolo ici s’il vous plaît), certains déplacements perdent clairement en challenge, voire peuvent devenir tristes. Toutefois, le reproche que l’on pourrait faire au jeu, en le comparant à une expérience de livraison – et en ne résumant le jeu qu’à ce simple état – n’est plus valable. En effet, à partir de ce moment, le jeu s’apparente alors beaucoup plus à un GTA-like.
Enfin, il faut le dire, il m’aura été terriblement agréable d’apprendre un nouveau gameplay qui fonctionne, loin des mécaniques évidentes que les grands AAA tels qu’Assassin’s Creed, Need for Speed ou encore Final Fantasy nous ont appris. Avec Death Stranding, tout semble évident. Pourtant, tout a été repensé avec comme point de départ l’idée du jeu, son concept. Et non l’inverse. En cela, le jeu est déjà une réussite totale.
Les messages
Il serait prétentieux de dire avoir compris tout le message (ou les messages) que Monsieur Hideo Kojima a voulu faire passer à travers son dernier bébé. Pourtant, il semble évident que l’un d’entre eux, est celui du lien.
“À force de construire des « murs », les gens se sont habitués à vivre isolés.”
– Hideo Kojima
L’importance du lien
Tout d’abord car la mission qui incombe au protagoniste du jeu est de relier les villes, les villages, les pays au Réseau Chiral, sorte d’internet du savoir. Le lien est donc le point central du jeu, tout comme ses mécaniques. Enfin, l’importance du lien se dévoile très rapidement via le mode online proposé par le jeu. S’il ne vous est pas possible à proprement parler de jouer avec d’autres joueurs, l’expérience se veut elle totalement connectée. En effet, chaque construction, chaque installation, chaque panneau que vous posez, informe ou aide directement d’autres joueurs du monde entier.
“Death Stranding est un jeu d’action d’un genre totalement nouveau, dans lequel le but du joueur est de reconnecter des villes isolées et une société éclatée. Il est conçu de sorte que tous les éléments, y compris l’histoire et le gameplay, soient connectés entre eux par le thème du « lien ».”
– Hideo Kojima
Et si le jeu est tout à fait jouable en mode hors-ligne, cette fonctionnalité est en réalité fort appréciable car c’est précisément l’aide des autres joueurs qui permet de créer à chaque nouvelle mission une expérience unique et nouvelle. La création est au centre du concept du jeu puisqu’avec Death Stranding, Hideo Kojima se concentre sur ce que Johan Huizinga, historien néerlandais du XIX et XXème siècle théorise être l’homo ludens, soit l’homme qui joue, formule moderne d’homo sapiens, l’homme qui sait ou encore l’homme sage. Pour le créateur du jeu, l’homme doit jouer. Mais plus important encore, il doit jouer à plusieurs. Il doit apprendre (ou réapprendre) à jouer tout en créant du lien.
“En incarnant Sam Porter Bridges, vous essaierez de combler les fossés qui fragmentent la société, et ce faisant, de créer des « liens » avec d’autres joueurs du monde entier. À travers l’expérience que vous vivrez dans ce jeu, j’espère que vous comprendrez l’importance de nouer des liens avec les autres.”
– Hideo Kojima
La société du like
À chaque fin de mission, le joueur reçoit des gains d’expérience, mais également des likes. Il en va de même pour chaque installation ou panneau déposé dans le monde ouvert que les autres joueurs peuvent “liker” de façon libre. Ainsi, le jeu vous poussera à créer et à aider les autres dans l’optique de recevoir des likes. Les likes deviennent alors la nouvelle monnaie et le nouvel objectif de tout un chacun. J’y vois ici une façon habile de railler les habitudes modernes de certaines déviances liées au réseaux sociaux dans lesquelles le paraître peut sembler primer sur l’être.

Et la nature dans tout ça ?
Si les humains sont poussés à jouer ensemble, il est impossible de ne pas faire de comparaison entre les deux étapes majeures du jeu : la première où vous n’avez que vos petites jambes pour avancer et vos “petits” bras pour porter vos paquets et les faire tenir en équilibre, en voyageant à travers des paysages naturels tous plus beaux les uns que les autres. Certes, la nature (ou la mort) a repris ses droits, mais le résultat n’en est que plus agréable. Tout cela nous amène à la deuxième partie du jeu, celle où le monde commence à se reconnecter et où vous vous mettez à reconstruire des ponts, des routes, etc. À ce moment précis, vous chevauchez votre moto tel un Daryl directement tiré de The Walking Dead, fier de votre dernier morceau d’autoroute. Pourtant, alors que vous roulez paisiblement, vous prenez conscience que votre plaisir et votre confort ont dénaturé non seulement le gameplay, le concept initial du jeu, mais surtout le paysage environnant. Tout devient moins beau. Ce message est d’autant plus évident lorsque l’on s’aperçoit que des débris émanent en permanence des routes construites. Félicitations, nous avons détruit la nature. Et pour quoi ? Pour aller plus vite. BAM ! C’est le brut d’une claque que l’on vient de se prendre. Et elle fait mal celle là.
La présence permanente de la mort
Entre le BB que vous portez H24, les Échoués qui essaieront de vous envoyer six pieds sous terre dès qu’il pleut, l’histoire entre votre mère et vous ou encore votre soeur perdue sur la Grève, on se rend rapidement compte que tous les éléments du jeu renvoient inévitablement vers la mort. la vraie. Hideo Kojima a-t-il tant peur de la mort qu’elle nécessite d’être à ce point omniprésente ? À l’instar d’une production From Software – la difficulté en moins – Death Stranding est une expérience entièrement basée sur la fusion entre le monde des vivants et le monde des morts. Ainsi, tout autour du joueur relate la mort. Son rapport avec sa famille, avec les gens qu’il croise, avec son passé, avec son environnement. Et en même temps, pour un jeu qui comporte le mot “mort”, on pouvait s’y attendre, non ?
“C’est parce que les machines ne connaissent pas la mort qu’elles ne nous surpasserons jamais vraiment”
– Mama, Margaret Qualley

Ressentir quelque chose
Il y a de ces jeux qui vont vous pousser dans vos retranchements. Dernièrement, je vous ai parlé du difficile Sekiro: Shadows Die Twice qui a réussi à me faire vivre des vraies émotions de jeu. Avec Death Stranding, bien que le sentiment soit différent, il est finalement semblable. Le jeu procure de vraies émotions, à condition que l’on en ait envie. Les youtubers rigolards qui s’amusent à voir dans Death Stranding un jeu trop intello et de Deliveroo-like n’ont peut-être tout simplement pas compris l’essence du jeu. Certes, certaines phases d’exploration ou de progression du jeu sont fastidieuses, mais ce sont justement elles qui donnent toute son épaisseur au titre. Pour cause, une fois les routes construites, le gameplay change tellement qu’on en viendrait presque à regretter cette nouvelle facilité. Le fait de devoir dire à son ou sa partenaire : “Attends, là, je me lance dans une livraison, j’en ai au moins pour 15-20 minutes” est finalement quelque chose de très agréable car c’est à partir de là que naît le “role play”, l’envie d’incarner pleinement son personnage, de vivre son enfer, de souffrir avec lui, de s’ennuyer avec lui, mais également de tirer entièrement satisfaction de chaque réussite.
Pour tous ces points, je ne peux m’empêcher de noter tout le génie de Hideo Kojima qui a réussi avec Death Stranding, non seulement à nous offrir un bijou du jeu vidéo, mais surtout une oeuvre artistique qui permet encore une fois de montrer que le gaming peut aller au-delà du cinéma, et tout ça en réussissant à proposer une expérience totalement nouvelle.

La création
Au-delà de son gameplay novateur, de sa narration terriblement maîtrisée, c’est surtout l’univers très sombre mais pourtant incroyablement attachant qui reste en bouche, une fois la manette posée. Riche d’une direction artistique formidable, d’une technique presque irréprochable pour un jeu (finalement presque) indépendant (et développé en moins de 4 ans tout de même), le tout porté par un casting 5 étoiles au jeu à la limite de la perfection, tous les éléments créatifs qui composent l’expérience sont, à mes yeux, une réussite. J’ai d’ailleurs noté des choix musicaux particulièrement éclairés, allant des balades enchantées de Low Roar jusqu’aux titres plus énergiques, dont Ludens signé Bring Me The Horizon.
Tout en se rappelant que Death Stranding est le premier jeu créé par Kojima Production, le nouveau studio d’Hideo Kojima, il est important de souligner la qualité de la production, l’incroyable travail créatif de son initiateur mais également la palette impressionnante de talents dont Kojima s’est intelligemment entouré. Savoir déléguer pour créer mieux, c’est souvent la marque des plus grands. Et avec son premier titre indépendant, Kojima a voulu tirer fort, c’est une réussite.
Mon avis
Death Stranding est un jeu original qui ne pourra pas plaire à tout le monde. Et c’est aussi précisément ce dont le jeu vidéo doit se doter : des titres personnels, fortement marqués par la créativité de leur instigateur. Avec cette proposition, Hideo Kojima montre que son génie créatif est plus que jamais libéré de quelconques chaînes de production. Alors que je n’étais, jusque-là, pas particulièrement fan du travail de Kojima, j’avoue avoir découvert un créateur impressionnant.
Je recommanderais donc le titre à tout le monde mais à une seule condition : en avoir envie. Car Death Stranding fait partie de ces jeux qui apportent autant au joueur qu’il n’en demande en investissement.